Le sport féminin africain doit encore se faire une place au sein de la société.
Un continent de paradoxes. Alors qu’elle compte pourtant des sportives emblématiques qui brillent dans les compétitions internationales, l’Afrique est encore à la traîne pour ce qui est de l’accompagnement et de l’investissement dans le sport féminin. Si des avancées notables ont été réalisées, le chemin reste encore semé d’embûches pour un développement équitable et durable du sport féminin en Afrique, particulièrement au niveau local.
Visibilité croissante, grâce à quelques figures d’exception
Son nom est connu dans toute l’Afrique et bien au-delà. Marie-José Ta Lou-Smith, quadruple médaillée mondiale, un palmarès long comme le bras, est devenue un modèle de détermination pour de nombreuses jeunes athlètes africaines et a suscité des vocations chez énormément de jeunes filles. À ses côtés, des sportives comme Asisat Oshoala au FC Barcelone ou encore la sprinteuse sud-africaine Caster Semenya continuent d’incarner la réussite à l’international. Aux derniers Jeux Olympiques de Paris 2024, plusieurs athlètes africaines se sont distinguées, en athlétisme bien sûr, mais aussi en boxe avec la sensation Imane Khelif, en basketball avec la renversante équipe du Nigeria, ou encore en escrime ou en gymnastique, illustrant la diversité des talents féminins en Afrique.
Leurs succès participent à une visibilité accrue pour le sport féminin africain, un domaine où les compétitions majeures gagnent en notoriété. En témoigne la CAN Féminine, organisée au Maroc en 2022, qui a rassemblé un public record. Cette compétition a offert une scène continentale pour les joueuses, renforçant ainsi l’intérêt pour le football féminin sur le continent. Ce type de succès est essentiel pour inspirer les jeunes générations et lutter contre les préjugés.
Inégalités de moyens et d’infrastructures
Pourtant, la réalité quotidienne des sportives africaines reste bien différente de celle de leurs homologues masculins ou même de leurs compatriotes évoluant à l’étranger. En Afrique, les équipes féminines et les sportives manquent cruellement de financement et d’infrastructures. Dans de nombreux pays, les fédérations investissent bien plus dans le sport masculin, à commencer par le football, que dans les équipes féminines, même lorsque celles-ci affichent de bons résultats.
Au Kenya, par exemple, les équipes de course de fond se heurtent souvent à un manque de soutien financier, alors que les athlètes, majoritairement féminines, brillent dans les compétitions internationales. Pour exemple, le nombre de médailles remportées par les Kényanes à Paris 2024. Sur les 11 médailles glanées au total, 7 l’ont été par des femmes grâce notamment à Beatrice Chebet et Faith Kipyegon. Sur les 4 en or, 3 sont revenues à des femmes.
Les infrastructures et équipements dédiés aux sportives demeurent insuffisants. Dans plusieurs pays africains, les installations sportives réservées aux femmes sont rares, et les jeunes filles doivent souvent se contenter d’équipements précaires, ou alors passer après les garçons. Cette inégalité d’accès limite l’essor de nouvelles pépites, car elles n’ont pas les moyens ni les espaces pour s’entraîner dans des conditions décentes.
La barrière culturelle et sociale : un frein persistant
Autre obstacle majeur au développement du sport féminin en Afrique, celui qui est d’ordre culturel et social. Dans certaines régions du continent, les stéréotypes de genre continuent de peser lourdement sur les possibilités des jeunes filles à s’engager dans une activité sportive. L’idée que le sport est une « affaire d’hommes » demeure ancrée, décourageant ainsi les jeunes talents féminins dès le plus jeune âge.
Il existe toutefois des initiatives encourageantes pour faire évoluer ces mentalités. Dans certains pays, des organisations locales et des ONG travaillent main dans la main avec les fédérations pour organiser des tournois et sensibiliser les communautés à l’importance du sport pour les femmes. Ces efforts restent cependant timides et souvent dispersés, loin d’une politique cohérente et généralisée à l’échelle du continent, ou impulsée au niveau de chaque pays par le pouvoir en place.
« C’est un peu le même phénomène qu’en Europe. Je suis une femme, et nous nous plaignons à juste titre d’avoir toujours été mis à l’écart de décisions, mis à l’écart de plusieurs choses, non seulement dans nos états, dans le milieu économique, et j’en passe (…) C’est malheureusement un poncif général que ce soit en Afrique ou ailleurs, les femmes sont toujours obligées de se battre un peu plus que les hommes pour pouvoir figurer dans un palmarès, pour être considérées dans le secteur qu’elles aiment ou qu’elles ont choisi », déplorait Mariama Satina Diallo Sy, ancienne présidente du Comité de normalisation de la Fédération guinéenne de football, dans un entretien avec Women Sports Africa, avant de noter avec une touche d’optimisme : « Mais les choses sont en train d’évoluer réellement, à l’avenir celui-ci va prendre une place de plus en plus importante. »
La nécessité de politiques de développement
Pour un changement durable, l’Afrique doit investir davantage dans le développement du sport féminin si elle souhaite exploiter pleinement son potentiel. La Confédération africaine de football a pris quelques mesures dans ce sens, en renforçant la visibilité de la CAN Féminine et en encourageant les fédérations nationales à créer des championnats féminins, tous comme les clubs participants aux compétitions interclubs à avoir des sections féminines. Cependant, ces actions isolées ne suffisent pas. Pour créer un écosystème véritablement durable, il est indispensable que les autorités nationales, les sponsors et les institutions éducatives collaborent à des programmes de développement à long terme.
Des initiatives telles que des bourses d’études pour les jeunes filles sportives, des partenariats avec des clubs européens pour favoriser la formation et des programmes de sensibilisation au sein des communautés pourraient accélérer ce processus. À cet égard, la popularité croissante de stars africaines évoluant en Europe est un atout précieux, car elle peut contribuer à attirer les sponsors et à susciter des vocations.
Potentiel énorme, réformes indispensables
Le sport féminin africain est en pleine expansion, porté par des athlètes de renommée mondiale qui brisent les barrières et inspirent les nouvelles générations. Mais pour que ce mouvement soit durable et inclusif, le continent doit s’engager pleinement dans une refonte de ses politiques sportives. Un développement harmonieux du sport féminin en Afrique ne pourra être atteint sans des investissements accrus, une volonté politique forte et un changement des mentalités.
L’Afrique regorge de talents féminins, et les athlètes qui brillent actuellement à l’international ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Le défi est maintenant de garantir à ces talents les conditions nécessaires pour éclore sur le continent même, afin que le sport féminin en Afrique puisse un jour atteindre son plein potentiel.