Il l’a encore expliqué au moment d’entrer au Hall Of Fame, Toni Kukoc préférait gamin la petite balle blanche au gros ballon orange…
Fils d’un gardien de foot, le jeune Toni, né le 18 septembre 1968, est ainsi champion de Dalmatie en tennis de table avant de basculer dans le foot. Ailier droit dans les équipes de jeunes à Split, celui qu’on appelle alors « Olive » (en référence à la copine de Popeye, et non à Olive et Tom) devient rapidement trop grand pour jouer à la balle sur gazon. À 13 ans, il mesure déjà 1m90, et il décide alors de passer au basket…
« Mon père a été très important pour instiller en moi la passion du sport. Il était un grand fan de notre équipe de foot [de Split]. Je peux vous raconter une histoire qui résume bien cela. Mon école n’était pas loin de ma maison et lors d’un match, alors que j’étais en plein examen, il est monté sur le toit de l’école et a hurlé : ‘Toni, on mène 1-0’. Et puis rebelote : ‘Toni, on mène 2-0 !’ Pendant ce temps-là, évidemment, l’institutrice s’était rendu compte de ce qui se passait et pour qu’il arrête de perturber l’examen, elle m’a renvoyé chez moi. Heureusement, j’ai réussi mon examen. »
C’est Dieu déguisé en Toni Kukoc !
Après des débuts timides avec la sélection yougoslave de cadets au championnats d’Europe 1985, le jeune Toni se fait remarquer une première fois au Mondial Junior de Bormio, en 1987. Face aux Américains de coach Larry Brown (qui comptent tout de même Larry Johnson, Gary Payton et Stacey Augmon dans leurs rangs), le gaucher maigrelet enfile les paniers à 3-points comme des perles.
« Jamais après ce jour, je n’ai réussi à me rapprocher de ce type de stats. En général, mes meilleurs scores à 3-points tournaient autour de 5 ou 6 mais ce jour-là, tout tombait dedans. Je me sentais hyper bien. Après mes deux premiers tirs, je me suis senti très en confiance et ça a duré tout le match. Je tirais malgré les défenseurs, parfois même sur contre-attaque. On avait une superbe équipe, complète à tous les postes. Et nous n’avions aucune idée qu’on était si bons. »
Toni Kukoc permet à son équipe de Yougoslavie de battre les Etats-Unis (110-95) et finit avec un incroyable 11/12 à 3-points pour un charmant total de 37 unités. Et son seul raté derrière l’arc ? Une gamelle. C’était Dieu déguisé en Toni Kukoc !
« Le seul secret, c’est l’effort » confesse simplement Dino Radja. « On arrivait à 6h du matin, avant les services de nettoyage et on s’entraînait pendant dix heures sans s’arrêter. Pour décrire l’homme, je dirais que Toni est resté un enfant. Pour décrire le basketteur, je dirais que c’est simplement un génie. »
Avec ses 2m08 sous la toise, Toni Kukoc est un extérieur de très grande taille… mais n’en perd pas moins sa passion pour la passe décisive. « Un panier fait un homme heureux alors qu’une passe en fait deux« , reprenait-il.
Attirant les défenseurs sur lui, Toni Kukoc se fait une spécialité de créer le décalage dans les raquettes adverses. Et ce, avec une facilité déconcertante. Passe derrière la tête, derrière le dos, passe aveugle… Surnommé la « Panthère rose« , il sait tout faire dans la création de jeu. Avec sa mimine gauche, il déstabilise plus d’un défenseur, soit trop petit s’il est extérieur, soit trop lent s’il est intérieur.
Sasha Djordjevic en 1991 : « Toni est le meilleur Yougoslave de l’histoire »
Formé à l’école yougoslave des séances interminables de shoots, Toni Kukoc est élevé à la dure sous la houlette de Bozidar Maljkovic qui ne met pas longtemps à entrevoir toute l’étendue de son talent. Mais pour que ce potentiel se réalise, Boja a une idée bien précise.
« J’obligeais Kuki à s’arrêter dans mon bureau après chaque entraînement pour lui faire boire un mélange de fruits qu’on faisait au mixeur. Pour lui, il n’y avait rien de pire mais il se bouchait le nez et buvait la mixture sans broncher. On le faisait aussi porter les sacs. Il avait 20, 40, parfois 50 kg sur le dos. Et je me souviens, à Barcelone, il est venu me voir pour me dire qu’il n’était plus le porteur de sacs. Il y avait Zan Tabak pour ça. Non, mais Toni est le meilleur joueur, le joueur le plus complet que j’ai croisé dans ma carrière longue de trente ans. Son truc, c’est qu’il pouvait jouer à tous les postes. Il a remporté tous les plus grands trophées. »
Et comment ! En remportant l’Euroligue trois années de suite entre 1989 et 1991, Toni Kukoc domine la scène européenne avec Split. Et, ironie du sort, il prive son ancien coach Maljkovic du titre en 1991 alors que ce dernier a cédé aux sirènes catalanes de Barcelone.
Preuve du respect le plus total gagné par Toni Kukoc sur le Vieux Continent, les fans du Partizan Belgrade, bien que dégoûtés de laisser filer le titre de champion de Yougoslavie en 1991, ont applaudi pendant une minute l’ailier croate qui était alors mis sur le banc par son coach Zeljko Palicevic.
« Félicitations à Split. Ce sont des gagneurs nés et ils ont cette mentalité de tueurs. Je pense que Toni Kukoc, bien qu’il n’ait que 23 ans, est le meilleur joueur yougoslave de l’histoire » concèdera alors Sasha Djordjevic, le meneur battu du Partizan, devenu ensuite le coach de la Serbie.
La Panthère Rose débarque à Chi-Town
Après avoir fait attendre les Bulls deux saisons qu’il passe au sein du Benetton Trévise (qui trébuchera contre Limoges au Final Four 1993), Toni Kukoc se décide tout de même à franchir l’Atlantique. Bien qu’auréolé de toutes les récompenses et les trophées imaginables en Europe, le prodige croate n’a pas suivi un long fleuve tranquille à son arrivée au bord du lac Michigan.
« J’arrivais là-bas avec l’idée qu’une fois que j’allais intégrer l’équipe, j’en ferai définitivement partie » racontera-t-il sur ESPN. « En fait, j’amenais avec moi la mentalité européenne de l’époque qui voulait qu’on joue pour une équipe et c’était tout. Il n’y avait pas d’échanges de joueurs. Tu as un contrat, tu prends le bon et le mauvais en même temps et le staff et les joueurs se battent pour avancer ensemble. Mais quand je suis arrivé ici, je me suis rendu compte que c’était différent. La mentalité n’était pas la même. »
En plus de s’adapter à une nouvelle mentalité, Toni Kukoc doit faire face à un autre obstacle : il est le protégé de Jerry Krause. Bien qu’il ne l’ait jamais demandé, son patron a effectivement fait sa promotion pendant de longs mois, essayant de convaincre Michael Jordan et Scottie Pippen que cet ailier fluet était une véritable pépite.
Mais « Sa Majesté » ne s’en laisse pas conter, et il inflige à Toni Kukoc un traitement de choc !
« J’étais un des joueurs majeurs de mon équipe [lors de la finale des JO en 1992, face à la Dream Team] et tu veux toujours tester les gars avec qui tu vas jouer. Sont-ils assez durs physiquement et mentalement ? Peuvent-ils répondre présents quand on leur demande ? Je sais très bien que c’est ce qui se passe. Je ne pense pas un seul instant qu’ils ont une dent contre moi, personnellement. Ils me testent, tout simplement. J’ai compris plus tard que Michael fait ça pour tout le monde… tous les jours ! »
Rapidement responsabilisé, et auteur de plusieurs shoots décisifs (dont le fameux tir de la gagne contre les Knicks en playoffs 1994), il se fait sa place au mérite. Sa polyvalence et sa qualité de tir gagnent bientôt sur son manque de physique et ses errements défensifs que pointaient Phil Jackson dès son arrivée aux Bulls.
Triple champion NBA avec Chicago, l’ailier croate a ensuite visité les Etats-Unis en passant par Philadelphie, Atlanta et Milwaukee. Avec 12 points, 4 rebonds et 4 passes de moyenne en 15 saisons NBA, il a décidé de raccrocher en 2006, alors qu’il avait 37 ans.
La retraite paisible
Si sa carrière NBA laisse un petit goût d’inachevé du fait que Toni Kukoc, à son apogée physique, était bridé par la présence de Michael Jordan et Scottie Pippen (et Dennis Rodman), on ne peut que saluer son incroyable parcours. Membre éminent de la génération dorée de la Yougoslavie qui a tout raflé en Europe (l’or en moins de 16, en moins de 18 et en moins de 19 entre 1985 et 1987), avant de porter les couleurs croates au sommet, avec cette finale légendaire des JO de Barcelone, contre la « Dream Team », Toni Kukoc a tutoyé les sommets où qu’il soit passé, et son entrée au Hall Of Fame n’est que justice.
Dès lors, son relatif anonymat dans les banlieues huppées de Chicago surprend. Solidement ancrée dans la métropole de l’Illinois, le Croate est devenu citoyen américain, et il voit grandir ses deux enfants : sa fille Stela qui entraîne dans le volley, et son fils Marin, passé par l’équipe de la fac’ de Pennsylvanie en basket.
« J’ai passé la moitié de ma vie à Chicago et je considère que c’est chez moi. Chicago est une des meilleures villes pour ce qui est du sport. Et ça me rappelle un peu ma ville natale de Split. On joue [au golf avec Michael Jordan] pour 2 dollars et même là, c’est de la compétition. J’ai besoin d’un ostéopathe après parce qu’il me fait jouer toute la journée. Mais on s’amuse bien. On se chambre, on évoque des souvenirs, on fume un cigare, on marche dehors. C’est la belle vie ! »
Décrié pour s’être éloigné du basket croate alors que d’autres légendes du jeu, telles qu’Arvydas Sabonis (président de la fédération) en Lituanie, Dejan Bodiroga ou Sasha Djordjevic en Serbie, continuent d’aider leur nation, Toni Kukoc se la coule douce aux Etats-Unis, et pour son intronisation au Panthéon, il avait rendu hommage à ses deux anciens coéquipiers.
« Je voudrais remercier ce monsieur derrière moi, Michael Jordan, et Scottie Pippen, pour m’avoir botté les fesses durant les JO de Barcelone. Ils m’ont motivé à travailler encore plus dur pour devenir un membre important des Chicago Bulls. Je veux aussi exprimer ma sincère gratitude à Jerry Reinsdorf et au regretté Jerry Krause pour m’avoir fait venir en NBA quand ce n’était vraiment pas quelque chose de commun ».