Pour la première fois de l’histoire, l’équipe nationale féminine du Burkina Faso a disputé en 2022 la Coupe d’Afrique des Nations féminine au Maroc. Derrière cette performance, le sélectionneur Pascal Sawadogo. Professeur d’Education Physique et Sportive, et fondateur du club de football féminin dénommé Étincelles du Faso, le sélectionneur des étalons dames s’est confié à Africa Top Sports dans une interview exclusive. Il évoque son parcours, son équipe étincelle et les Étalons dames.
Africa Top Sports (ATS) : Merci coach de nous avoir accordé ces moments d’échanges. Parlez-nous un peu des débuts de votre carrière dans le football.
Pascal Sawadogo : J’ai commencé ma carrière en 2008. Il y avait une ONG qu’on a nommée Afrikais qui luttait contre le VIH à travers le football. Ceci consistait à prendre les filles de moins de 17 ans, les faire jouer un match de foot et après on pose des questions sur le VIH.
Le projet a continué jusqu’en 2011. Donc j’ai commencé avec les filles du lycée Apostolique. Après il y avait un monsieur qu’on appelait Kader qui avait une équipe féminine à Tanghin. Lui, il participait à des coupes du Mogho Naaba, les compétitions informelles. Il n’avait pas fait une affiliation. Certaines de ces joueuses fréquentaient le lycée.
Donc je me suis appuyé sur des joueuses pour faire mon équipe du lycée. Après en 2011, on participe à l’USSU BF aux compétitions scolaires. Là-bas c’était toutes catégories confondues (senior, minime). Comme c’était les filles, on a joué jusqu’en finale avant de perdre. Et dans la même lancée il y a eu Airtel jeune talent toujours en 2011.
Là je ne pouvais pas jouer avec le lycée Apostolique. C’est ainsi que j’ai créé mon équipe Etincelles (Association omnisport étincelle du Faso) en 2011.
ATS: Comment se sont passés les premiers recrutements à vos débuts avec Étincelles ?
P.S : Comme je suis déjà professeur d’EPS, à la rentrée du mois d’octobre jusqu’en novembre, il y a ce qu’on appelle la préparation physique généralisée. Les cours d’EPS étaient les 12 minutes à son temps. Les 12 minutes, l’endurance, les jeux. En début d’année, quand je lance les 12 minutes si je vois une fille de la 6e ou 5e qui est forte en endurance, je la retenais.
Après je faisais une lettre d’autorisation à ses parents pour commencer l’entraînement. Beaucoup de mes joueuses sont issues de la classe que moi-même je tiens. Je tiens la fille en tant que professeur et entraîneur. Au début ce n’était pas facile mais aujourd’hui j’entretiens de bonnes relations avec les parents d’élèves.
ATS: En Afrique, il est extrêmement difficile pour les filles de jouer au football, comment arrivez-vous à convaincre leurs parents ?
P.S : Les parents veulent trois choses. Premièrement que la fille soit dans un bon milieu. Les gens ont tendance à dire que le football féminin dénature les enfants. Dénaturée pour dire qu’une fille qui partait régulièrement à la mosquée ou à l’église, en venant au foot, elle a tendance à faire des déviances. Elle ne veut plus se natter les cheveux, elle ne veut plus se couvrir les jambes, prier ou aller à l’église. Les parents n’admettent pas cela.
Deuxièmement, il y a l’école. Les gens pensent que c’est le temps d’études que les filles prennent pour jouer au ballon. Et pourtant si elles sont un peu organisées c’est différent. Une fille peut bosser pendant des heures, et une autre va aller jouer au ballon et bosser et demain elle aura une meilleure note que celle qui passe tout son temps sur le cahier.
Plus tu joues, plus tu consommes d’oxygène. Côté études fallait rassurer les parents. Elles [ les filles ] aiment dire que la moyenne c’est pour les parents et le football c’est pour moi. Donc en début d’année on motive les parents et les filles. Depuis 2014 à chaque rentrée, je fais don de fournitures à toutes mes joueuses.
Ensuite, je fais les cours d’appui, avec cela les répétiteurs viennent les aider de temps en temps. D’ajouter, à l’école, elles sont toutes abonnées à la cantine. La cantine, c’est lundi, mardi, jeudi, vendredi. Mercredi, samedi, nous-même nous préparons. Par exemple, aujourd’hui [ le jour où nous faisions l’interview], on a fait du riz gras.
ATS: Si nous comprenions bien, c’est vous qui prenez en charge toutes les joueuses qui sont à votre disposition ?
P.S : Oui, on fait don de fournitures, le paiement de leurs scolarités c’est par moment. Généralement, celles qui aiment le foot sont issues de familles vulnérables. Si le papa a les moyens de payer tant mieux, s’il n’a pas les moyens on accompagne. Par exemple, Apostolique c’est un lycée privé. La scolarité pour la classe de 6e coûte 75 000f. A partir de la 4e c’est 85 000f. En terminale, c’est 110 000f.
Admettons qu’une fille qui est au public par exemple au lycée municipal de Signonghin ( une école de la place ) qui est à côté, on va dire 16 000f 25 000f, l’enfant a le talent mais tu ne maîtrises pas son emploi du temps.
Tu ne maîtrises pas ses mouvements, si elle vient régulièrement au cours ou pas. Tu aimerais qu’elle vienne à Apostolique. Le papa va dire non parce qu’il n’a pas les 85 000f pour payer. Généralement je dis venez payer ce que vous avez l’habitude de payer et moi je fais les compléments. C’est comme si elle avait une bourse que je donnais. Les études pour moi c’est un gros coefficient. C’est pourquoi les parents avaient peur au début. Je suis arrivé à les convaincre. Maintenant, l’autre volet c’est la sexualité des joueuses.
» je veux les encourager à rester femme en jouant au football »
ATS: Justement, concernant la sexualité, nous avons tendance à entendre que les filles qui jouent au foot ont tendance à vouloir ressembler aux garçons.
P.S : Tout dépend du message qu’on donne. Pour moi la fille a beau jouer au ballon elle ne va jamais devenir garçon. Vous savez que de nos jours, on a une petite crise pour le mariage. Il y a des vieilles demoiselles qui n’ont pas de mari. Tout ça fait partie des problèmes. Nous leur disons seulement de rester femme et jouer ballon. J’encourage les filles à se natter les cheveux. J’ai deux ou trois coiffeuses pour mon équipe. Quand je vois une fille qui s’est nattée, je demande le prix et je paye. À travers cela, je veux les encourager à rester femme en jouant au football. Le problème c’est quoi ? Il faut rester fille et jouer au ballon. Généralement quand les femmes jouent au ballon, ça bouge de partout les mèches, les perruques, les fesses et ça attire les hommes.
ATS : Coach, ici en Afrique particulièrement au Burkina Faso quand tu n’as pas un certains moyens c’est difficile de mettre en place un club et de l’entretenir. Comment avez-vous pu mobiliser les fonds pour créer votre club ?
P.S: Au départ comme moi je suis un fonctionnaire d’État, il y a mon salaire, je donne les cours aussi dans les privés. Donc il y a mes frais de vacation que je fais toujours avec. Même pour payer les cahiers souvent on prend les prêts scolaires 500 000f 600 000f ajouter. Et quand nous jouons souvent nous gagnons des prix. Je prends 1/3 pour donner aux filles et les 2/3 c’est pour payer les cahiers, les fournitures probablement et aussi à la subvention de la fédération. Si vous regardez au parking, vous allez voir beaucoup de motos. Sur dix filles, il y en a au moins sept qui ont des motos. D’autres c’est elles-mêmes qui ont payé et plus de la moitié c’est le club qui paye, nous pré finançons.
ATS: Expliquez un peu le mécanisme de financement.
P.S : Il est simple. En première division, depuis 2020 la fédération burkinabè de football nous donne déjà 5 millions. Étincelles est tout temps soit première ou deuxième du championnat depuis sa création. Si nous ne remportons pas le championnat c’est qu’on est vice-champion. Le prix que je reçois ( environ 1 500 000f ) peut payer trois motos. J’enlève 500 000 FRCFA et je partage aux filles. L’autre montant restant (1 000 000 FRCFA) je pars payer les motos.
Quand la subvention vient, par exemple la première tranche vient trouver qu’il y a beaucoup de dépenses. La deuxième vient trouver qu’il y en a moins. J’enlève aussi pour payer une moto.
ATS : Donc c’est à travers cela vous avez pu doter plus de la moitié de l’effectif de motos ?
P.S: Oui, certaines j’ai payé la moitié et les parents ont complété . Le reste c’est 100% sur les fonds du club. Pour les motos préfinancées, nous sommes aujourd’hui à une quinzaine. Les motos que le club a offertes aux joueuses sont plus d’une dizaine.
Toutes les joueuses auraient pu avoir des motos mais il y a certaines dont les parents disent de ne pas payer, parce qu’elles n’ont pas l’âge d’en avoir.
crédit Photo : CAF