Un seul joueur africain parmi la première sélection de
trente joueurs du Ballon d’Or 2024 ! Bien sûr, l’Afrique est au
courant qu’elle n’a plus de Drogba ou Etoo, et que Salah et Mané
approchent de la fin. Mais seul Ademola Lookman a trouvé grâce
auprès de la rédaction de France Football. Et Serhou
Guirassy, alors ?
Chaque année, le débat annexe
dépasse toujours le débat principal. Evidemment, lorsque la liste
de 30 joueurs est publiée, ce n’est pas vers les noms de
Bellingham, Vinicius, Carvajal, Rodri ou Yamal
que les regards se portent. Ils sont des évidences après une année
2024 très hispanique… Mais plutôt vers les joueurs absents ou ceux
qu’on n’attendait pas forcément. Bref, ceux qui vont finir entre la
20e et la 30e place
avec 0 à 1% des suffrages.
On appelle ça un marronnier. Ces
sujets qui reviennent périodiquement sur le tapis. En premier lieu,
il y a, bien sûr, les articles sur les favoris du Ballon d’Or. Et,
donc, ces longs débats sur les joueurs qui manquent à
l’appel. L’Afrique est sans doute plus attentive que
d’autres sur le sujet. Car le continent est toujours à la recherche
d’une place sur le toit de la planète. A la recherche d’une
légitimité que le reste du monde ne paraît pas lui
accorder.
Du coup, la sensibilité est très
particulière sur ce type de sujet. Le cas Guirassy n’a ainsi pas
manqué d’enflammer les réseaux et médias africains. Son absence de la liste des
30 est apparue injuste et,
surtout, injustifiée. Encore une fois, si Guirassy avait bien
figuré parmi cette sélection, il était promis à une place parmi les
derniers, avec un score infinitésimal. Mais le symbole est
là…
— Serhou Guirassy (@Guirassy_19) September 4, 2024
Une fois de plus, l’Afrique
s’est sentie humiliée par son absence après une grosse saison à
Stuttgart. Avec des buts (30, dont 28 en Bundesliga) et même une
deuxième place en Bundesliga. Son transfert au Borussia Dortmund
traduit aussi la reconnaissance acquise en Allemagne. Pour
autant, posons crûment la question qui fâche : Guirassy
méritait-il d’être parmi les 30 ?
Objectivement, oui. L’ancien
Rennais a réussi une superbe saison où buts et succès sportif se
sont complétés. Et, de fait, le Guinéen pouvait parfaitement
escompter une place parmi les 30. Attention : on ne dit pas
qu’il figure parmi les 30 meilleurs joueurs mondiaux. Mais, sur
cette saison, et dans son style, il pouvait légitimement être dans
cette liste magique.
Guirassy aurait-t-il dû être nominé par les 30 ?
Est-ce si important que
cela ? Pour sa carrière, assurément. Surtout à 28 ans !
Etre dans les 30 nominés au Ballon d’Or a une valeur forte. Bien
sûr, Lionel Messi est sans doute indifférent au fait de ne pas
figurer cette saison. Lorsqu’on a déjà gagné le Ballon d’Or, il
vaut mieux ne pas être nominé plutôt que de faire 2% des
voix. Mais pour un joueur jamais nominé, l’impact est
important. Et il est clair que, outre son transfert, l’ancien
Amiénois aurait encore gagné fortement en termes de
notoriété.
Alors, qu’est-ce qui a pu
freiner Guirassy et l’empêcher d’entrer dans ce gotha ? D’abord,
rappelons que la première sélection n’est pas le fruit d’un vote,
mais un choix discrétionnaire de la rédaction de France
Football, l’hebdomadaire français qui a créé le Ballon d’Or en
1956. Evitons d’emblée les procès d’intention. France
Football n’a rien contre l’Afrique et n’a pas « évité »
Guirassy volontairement. On serait plutôt sur une
non-reconnaissance d’un joueur qu’on connait pourtant bien en
France.
Trop peu reconnu en France !
Est-ce que le fait que les perfs
de Guirassy remontent plutôt à une belle période à Amiens entre
Ligue 2 et bas de tableau ? Qu’il n’a pas réussi grand-chose plus
haut à Rennes ? Que l’on regarde plus un joueur français qu’un
Guinéen ? Que le style
Guirassy ne séduit pas beaucoup les journalistes de FF ?
Les jurés journalistes de FF ne
parlant pas, il est bien difficile de répondre à leur place. Mais
il est évident que certains de ces critères ont pu jouer. Tout
d’abord, la France n’aime pas trop les vrais numéros 9.
Dans la culture du foot en France, il y a toujours eu une prime au
constructeur, à l’élégant numéro 10 qui distribue les
ballons. Le football ayant
changé, on est bien obligé, comme partout ailleurs, de se rabattre
sur les chiffres, les performances devant le but. Là où Guirassy
aurait dû séduire davantage. Mais il reste cette culture qui ne
favorise pas les vrais 9. Exemple tout trouvé : l’utile
Olivier Giroud qui a toujours été contesté chez les
Bleus…
Toutefois, dès qu’on émet une
réserve, il s’en trouve toujours un pour émettre un exemple qui
détruit l’argument. Lors de l’émission « Les Grandes
Bouches » sur Canal+, le Camerounais Samuel
Lobé m’a ainsi collé au mur avec l’exemple de l’Ukrainien Artem
Dovbyk à Gerona. « Même style, même profil de pur buteur.
Et lui est dans les 30. Pourquoi pas Guirassy ? ».
Comment lui donner tort ?
Dovbyk, le contre-exemple !
Et quand j’ajoute que Guirassy a
été une surprise dans un club surprise, méconnu, Lobé me remet le
nom de Dovbyk et de Gerona dans les dents. Sur le style
Guirassy, Fousseini Diawara a aussi sa réplique :
« Je l’ai eu toute l’année avec l’équipe de Guinée. Il a
affiché une confiance formidable. Et réussit tout ce qu’il tentait
dans une saison incroyable ». Sauf avec le Syli National,
justement…
Alors, en bout de parcours, on
peut toujours se dire qu’un journaliste va être plus attiré par un
joueur européen (plus qu’un Guinéen) et par la Liga (plus que la
Bundesliga). Ce ne sont pas des critères objectifs et les ils font
rager les Africains. Mais, à y regarder de plus près,
est-ce que ce type de critères n’existe pas également sur le
continent africain ? Lors d’un transfert, le Camerounais ou Sénégalais a infiniment plus de chances de
partir en Europe qu’un Guinéen ou Tanzanien. Idem sans doute aussi lors des récompenses
africaines comme le Trophée du « meilleur joueur africain de
l’année ».
D’ailleurs, le seul Africain
présent dans les 30 est certes un joueur qui a marqué trois buts en
finale de Coupe d’Europe avec l’Atalanta Bergame. Mais Ademola
Lookman est aussi un joueur nigérian, également
sorti du lot lors de la CAN en Côte d’Ivoire.
Objectivement, et c’est injuste, un joueur guinéen va avoir du mal
à rivaliser avec la notoriété d’un Nigérian. De plus,
lors de la CAN, Guirassy n’a pas travaillé pour sa
notoriété, restant en retrait de Mohamed Bayo à la pointe du Syli
National. Il a montré une réelle difficulté à s’habituer au jeu
particulier pratiqué sur le continent.
A l’arrivée, Serhou Guirassy
aurait dû faire partie des 30 meilleurs joueurs de la saison. Mais
doit-on se montrer surpris que sa notoriété moyenne ait pu lui
nuire et le faire basculer jusqu’à un 31e rang
fictif ? Franchement, une place dans les 30 aurait été une
consécration d’importance pour Guirassy et on a de vrais regrets
pour lui. Mais sans nous montrer surpris pour autant…